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penser sans horreur à une telle destinée ? Laissez-moi donc me réjouir de mon échange : j’ai vendu un bonheur à venir et incertain pour un bonheur présent et assuré. J’ai sauvé ma vie qu’autrement j’aurais perdue dans les tortures, et j’ai obtenu le pouvoir de me procurer toutes les jouissances qui peuvent la rendre délicieuse. Les esprits infernaux m’obéissent comme à leur souverain ; avec leur aide, je passerai mes jours dans tout le raffinement du luxe et de la volupté. Je goûterai sans contrainte toutes les joies des sens ; j’assouvirai chaque passion jusqu’à satiété ; puis j’ordonnerai à mes esclaves d’inventer de nouveaux plaisirs pour réveiller et stimuler mes appétits blasés. Je pars, impatiente d’exercer ma puissance nouvellement acquise : je brûle d’être en liberté. Rien ne me retiendrait un moment de plus dans ce séjour abhorré, n’était l’espoir de vous décider à suivre mon exemple. Ambrosio, je vous aime toujours : notre communauté de fautes et de dangers vous a rendu plus cher que jamais pour moi, et je voudrais bien vous préserver de la mort qui vous menace. Appelez donc à votre aide votre résolution, et renoncez pour des avantages immédiats et certains à l’attente d’un salut difficile à obtenir, et peut-être chimérique après tout ; secouez les préjugés des âmes vulgaires, abandonnez un Dieu qui vous abandonne, et élevez-vous au niveau des esprits supérieurs ! »

Elle attendit la réponse du moine : il frissonna en la donnant.

« Mathilde ! » dit-il après un long silence, et d’une voix basse et mal assurée, « quel prix avez-vous donné pour la liberté ? »

Elle lui répondit, ferme et intrépide :

« Mon âme, Ambrosio ! »

« Malheureuse ! qu’avez-vous fait ? quelques années en-