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meur si douce. Il était aussi très flatté du penchant qu’elle avait pour lui, et qu’elle ne savait pas cacher. Toutefois, ces sentiments n’avaient point chez lui l’ardeur qui caractérisait son amour pour Antonia : l’image de cette charmante et malheureuse fille vivait toujours dans son cœur, et se jouait des efforts que faisait Virginie pour l’en chasser ; mais, quand le duc proposa une alliance qu’il désirait si vivement, son neveu n’en rejeta point l’offre. Les instances suppliantes de ses amis, et le mérite de la jeune personne, triomphèrent de sa répugnance à contracter de nouveaux engagements. Il fit lui-même la demande au marquis de Villa-Franca, et fut accepté avec joie et gratitude. Virginie devint sa femme, et ne lui donna jamais sujet de regretter son choix. Son estime pour elle s’accrut chaque jour ; les efforts continuels qu’elle faisait pour lui plaire ne pouvaient manquer de réussir. Son affection prit une teinte plus prononcée et plus chaude. L’image d’Antonia s’effaça peu à peu, et Virginie devint seule maîtresse de ce cœur qu’elle méritait bien de posséder sans partage.

Le reste de leurs jours, Raymond et Agnès, Lorenzo et Virginie, furent aussi heureux qu’il l’est donné de l’être aux mortels nés pour être la proie des malheurs et le jouet des mécomptes. L’excès des chagrins qu’ils avaient éprouvés leur rendit légères toutes les peines qui survinrent. Ils avaient été frappés des flèches les plus aiguës du carquois de l’infortune ; celles qui restaient semblaient émoussées en comparaison : ayant essuyé les plus noires tempêtes du destin, ils envisageaient avec calme ses menaces ; ou s’ils sentaient jamais le vent passager de l’affliction, ce n’était pour eux que le doux zéphyr qui souffle l’été sur les mers.