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et quand je distinguai ses traits, ce coup soudain fut trop violent pour que je le pusse supporter. Je fus suffoquée de joie en revoyant un ami qui m’était si cher ; la nature ne put résister à tant d’émotions, et se réfugia dans l’insensibilité.

« Vous savez déjà quelles obligations j’ai à la famille de Villa-Franca ; mais ce que vous ne pouvez pas savoir, c’est l’étendue de ma reconnaissance, qui est infinie comme la bonté de mes bienfaiteurs. Lorenzo ! Raymond ! noms chéris ! apprenez-moi à soutenir avec énergie cette transition subite de l’infortune au bonheur. Hier captive, chargée de chaînes, périssant de faim, souffrant tous les maux du froid et du besoin, privée de la vue du jour, séparée du monde, sans espoir, délaissée et oubliée, je le craignais : aujourd’hui rendue à la vie et à la liberté, jouissant de toutes les douceurs de l’abondance et du repos, entourée de ceux que j’aime le plus, et sur le point de devenir l’épouse de celui à qui mon cœur est uni depuis longtemps, ma félicité est si excessive, si complète, que c’est à peine si mon cerveau en peut porter le poids. Il ne me reste qu’un vœu à voir exaucer : c’est que mon frère recouvre la santé, et que le souvenir d’Antonia soit enseveli dans sa tombe. Cette prière entendue, je n’ai plus rien à désirer. J’ose croire que mes souffrances passées m’ont obtenu du ciel le pardon de ma faiblesse. Je l’ai offensé, offensé gravement, je le sens bien ; mais que mon mari, parce qu’il a une fois triomphé de ma vertu, ne doute pas de la sagesse de ma conduite future. J’ai été fragile et pleine d’erreur ; mais je n’ai pas cédé à l’entraînement des sens. Raymond, c’est ma tendresse pour vous qui m’a trahie ; j’ai eu trop de confiance dans ma force ; mais je ne complais pas moins sur votre honneur que sur le mien. J’avais fait vœu de ne plus vous