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taient avec soin, craignant de gagner son mal ; elle était dans le délire, et tout à fait hors d’état de me visiter. L’abbesse et les nonnes qui étaient du secret m’avaient complètement abandonnée aux soins de Camille : en conséquence, elles ne s’occupaient plus de moi ; et tout entières aux préparatifs de la fête prochaine, il était plus que probable que mon souvenir ne leur revint pas une fois à l’esprit. Depuis ma délivrance j’ai su par la mère Sainte-Ursule les raisons de la négligence de Camille ; alors j’étais loin de les soupçonner : au contraire, j’attendis l’apparition de ma geôlière d’abord avec impatience, et ensuite avec désespoir : un jour se passa ; un autre suivit ; le troisième arriva, et personne ! et pas de nourriture ! je savais le laps de temps par la consommation de ma lampe, pour l’entretien de laquelle, heureusement, on m’avait laissé la provision d’huile de tout une semaine. Je supposais, ou que les nonnes m’avaient oubliée, ou que l’abbesse leur avait ordonné de me laisser périr. Cette dernière idée semblait la plus probable : pourtant il est si naturel d’aimer à vivre, que je tremblais de la trouver vraie. Quoique empoisonnée par toute sorte de misères, l’existence m’était toujours chère, et je redoutais de la perdre ; chaque minute qui se succédait me prouvait que je devais abandonner tout espoir de secours. J’étais devenue un véritable squelette : déjà la vue me manquait, et mes membres commençaient à se roidir. Je ne pouvais exprimer mon angoisse et les tortures de la faim qui me rongeait les fibres du cœur que par de fréquents gémissements, dont la voûte du cachot répétait le son lugubre ; j’étais résignée à mon sort, et déjà j’attendais l’instant de ma mort, quand mon ange gardien — quand mon bien-aimé frère arriva à temps pour me sauver : mes yeux affaiblis et troublés refusèrent d’abord de le reconnaître ;