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contempla même sans émotion mon enfant inanimé, et lorsqu’elle me quitta, je l’entendis qui chargeait Camille d’augmenter les rigueurs de ma captivité. Femme insensible ! — Mais réprimons mon ressentiment, elle a expié ses erreurs par une mort cruelle et imprévue. Que la paix soit avec elle ! et puissent ses crimes être pardonnés dans le ciel, comme je lui pardonne mes souffrances sur la terre !

« C’est ainsi que je traînais ma misérable existence. Loin de m’accoutumer à ma prison, je la voyais de plus en plus avec horreur. Le froid me semblait plus perçant, plus aigu, l’air plus épais et plus pestilentiel. La fièvre qui ne me quittait pas m’affaiblit, m’amaigrit. Je n’avais pas la force de me lever de mon lit de paille, et d’exercer mes membres dans les limites étroites que me laissait la longueur de ma chaîne. Quoique épuisée, défaillante, harassée, je tremblais de céder au sommeil ; car il était toujours interrompu par quelque affreux insecte qui venait ramper sur moi : tantôt je sentais le crapaud hideux, tout gonflé des vapeurs empoisonnées du cachot, qui traînait sur ma poitrine son ventre dégoûtant ; tantôt j’étais éveillée en sursaut par un froid lézard qui laissait une trace gluante sur ma figure, et s’embarrassait dans les tresses de mes cheveux épars et emmêlés. Souvent à mon réveil j’ai trouvé mes doigts entourés de longs vers engendrés dans la chair corrompue de mon enfant : alors je reculais d’épouvante et d’horreur, et je secouais loin de moi le reptile, tremblante de toute la faiblesse d’une femme.

« Telle était ma situation quand Camille tomba subitement malade : une fièvre dangereuse, et que l’on supposait contagieuse, la retint au lit. Toutes les nonnes, à l’exception de la sœur laie chargée de la garder, l’évi-