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La possession, qui blase l’homme, ne fait qu’accroître l’affection des femmes : chaque jour Mathilde s’attachait davantage au moine ; depuis qu’elle lui avait accordé ses faveurs, il lui était plus cher que jamais, et elle lui savait gré des plaisirs qu’ils avaient également partagés. Malheureusement, à mesure que sa passion devenait plus ardente, celle d’Ambrosio devenait plus froide ; la tendresse qu’elle lui témoignait excitait son dégoût, et l’excès même n’en servait qu’à éteindre la flamme qui déjà brûlait si faible dans son sein. Mathilde ne pouvait pas ne pas s’apercevoir que sa société lui était de jour en jour moins agréable : il était inattentif quand elle parlait ; ses talents si parfaits de musicienne n’avaient plus le pouvoir de l’amuser ; ou s’il daignait en faire l’éloge, ses compliments étaient froids et évidemment forcés ; il ne la regardait plus avec tendresse, et n’applaudissait plus à ses paroles avec la partialité d’un amant. Mathilde le remarqua, et redoubla d’efforts pour réveiller en lui les sentiments d’autrefois. Pouvait-elle réussir ? il considérait comme une importunité la peine qu’elle prenait pour lui plaire, et il se sentait repoussé par les moyens mêmes qu’elle employait pour le ramener. Toutefois leur commerce illicite continuait toujours ; mais il était clair qu’il n’était plus conduit dans ses bras par l’amour, mais par les exigences d’un appétit brutal : son tempérament lui rendait une femme nécessaire, et Mathilde était la seule avec laquelle il pût assouvir sans danger ses passions. Toute belle qu’elle était, chaque femme qu’il voyait lui inspirait plus de désirs ; mais craignant de dévoiler son hypocrisie, il renfermait sa convoitise dans son sein.

Il n’était nullement dans sa nature d’être timide ; mais l’influence de son éducation avait été si forte, que la crainte avait fini par faire partie de son caractère ; s’il eût