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lit de douleur à contempler ce qui avait été mon fils ! Je tâchais de retrouver ses traits sous la corruption livide qui les cachait. Tout le temps de mon emprisonnement, cette triste occupation fut mon seul plaisir, et je n’y aurais pas renoncé pour tout l’univers ; même quand je fus délivrée, j’emportai mon enfant dans mes bras. Les représentations de mes deux tendres amies — (ici elle prit les mains de la marquise et de Virginie et les pressa alternativement sur ses lèvres) — m’ont enfin décidée à déposer mon malheureux enfant dans la tombe : pourtant ce n’a pas été sans combat ; mais la raison enfin a prévalu. Je me le suis laissé prendre, et il repose à présent en terre sainte.

« J’ai déjà dit que régulièrement une fois par jour Camille m’apportait ma nourriture ; elle ne cherchait point à aigrir mes chagrins par des reproches ; elle m’invitait, il est vrai, à perdre tout espoir de liberté et de bonheur dans le monde ; mais elle m’encourageait à supporter avec patience mon infortune temporaire, et m’engageait à tirer ma consolation de la religion. Ma situation évidemment l’affectait plus qu’elle n’osait le témoigner ; mais elle croyait qu’atténuer ma faute, ce serait diminuer mon repentir. Souvent, tandis que ses lèvres peignaient de couleurs effrayantes l’énormité de mon crime, ses yeux trahissaient combien elle était sensible à mes souffrances. Réellement, j’en suis certaine, pas un de mes bourreaux (car les trois autres nonnes entraient quelquefois dans ma prison) n’était poussé autant par un esprit de cruauté tyrannique que par l’idée que torturer mon corps était le seul moyen de sauver mon âme ; et même cette persuasion n’aurait pas eu sur elles assez d’empire, et elles auraient jugé ma punition trop sévère si leurs bonnes dispositions n’avaient pas été réprimées par une aveugle