Page:Lewis - Le Moine, Tome 2, trad Wailly, 1840.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si séduisant ! Maintenant, j’avais tout perdu : amis, consolations, société, bonheur, un seul instant m’avait privé de tout ! Morte au monde, morte au plaisir, je ne vivais plus que pour sentir ma misère. Qu’il me semblait beau ce monde dont j’étais pour jamais exclue ! que d’objets chéris il contenait, que je ne reverrais plus ! Quand je jetais sur ma prison un regard d’effroi, quand je frissonnais glacée par le vent qui hurlait dans mon cachot, le changement était si brusque, si accablant, que je doutais de sa réalité. Que la nièce du duc de Médina, que la fiancée du marquis de Las Cisternas, qu’une fille élevée dans l’abondance, parente des plus nobles familles de l’Espagne et riche de l’affection d’une multitude d’amis — qu’elle fût en un moment une captive retranchée du monde pour toujours, chargée de chaînes et réduite à ne soutenir sa vie qu’avec les plus grossiers aliments — le changement me parut si soudain, si invraisemblable, que je me crus le jouet de quelque vision effrayante. La durée de cette vision ne me convainquit que trop de ma méprise. Chaque matin, j’attendais quelque allégement à mes souffrances : chaque matin, mes espérances étaient déçues. Enfin, je perdis toute idée de m’échapper ; je me résignai à ma destinée, et je n’attendis ma liberté que de ma mort.

« Cette torture d’esprit et les scènes épouvantables où j’avais joué un rôle avancèrent le terme de ma grossesse. Dans la solitude et la misère, abandonnée de tous, sans les secours de l’art, sans les encouragements de l’amitié, avec des douleurs qui auraient touché le cœur le plus dur, je fus délivrée de mon déplorable fardeau. L’enfant était venu vivant au monde ; mais je ne savais qu’en faire, ni par quels moyens lui conserver l’existence. Je ne pouvais que le baigner de mes larmes, le réchauffer