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monde, le forfait qu’il avait commis serait révélé, et sa punition inévitable. Chargé comme il l’était de crimes, la mort se présentait à lui armée de doubles terreurs. Quand même il rendrait Antonia à la lumière, et courrait la chance d’être trahi, quelle misérable perspective s’ouvrirait devant elle ! elle ne pouvait présumer de s’établir avantageusement ; elle serait marquée d’infamie, et condamnée au chagrin et à la solitude pour le reste de son existence. Que faire ? prendre une résolution bien plus terrible pour Antonia, mais qui du moins garantirait la sûreté du prieur ; il se décida à la laisser passer pour morte, et à la retenir captive dans cette sombre prison ; il se proposait de venir tous les soirs lui apporter des aliments, lui témoigner son repentir, et confondre leurs larmes. Il sentait que c’était un parti injuste et cruel ; mais c’était le seul moyen d’empêcher Antonia de le perdre en publiant sa propre honte. S’il la relâchait, il ne pouvait pas compter sur son silence ; il l’avait trop cruellement offensée pour espérer qu’elle lui pardonnât. D’ailleurs sa réapparition exciterait la curiosité universelle, et la violence de son affliction l’empêcherait d’en cacher la cause. Il arrêta donc qu’elle resterait prisonnière dans le caveau.

Il approcha d’elle, la confusion peinte sur le visage. Il la releva de terre. — En lui prenant la main, il la sentit trembler, et la laissa aller comme s’il eût touché un serpent. La nature semblait reculer à cet attouchement ; il était à la fois repoussé et attiré par elle, sans pouvoir se rendre compte d’aucun de ces sentiments. Elle avait dans le regard quelque chose qui le pénétrait d’horreur ; et quoique sa raison l’ignorât encore, sa conscience lui montrait toute l’étendue de son crime. D’une voix entrecoupée, mais aussi douce qu’il put la rendre, détour-