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au monde ! afin que vous me proclamiez un hypocrite, un ravisseur, un traître, un monstre de cruauté, de libertinage et d’ingratitude ! Non, non, non ! je sais toute la gravite de mes torts ; je sais que vos plaintes seraient trop justes, et mes crimes trop notoires ! Vous ne sortirez point d’ici pour raconter à Madrid que je suis un scélérat, que ma conscience est chargée de péchés qui me font désespérer du pardon divin. Malheureuse fille, vous devez rester ici avec moi ! ici, parmi ces tombes solitaires, ces images funèbres, ces corps hideux, putréfiés. Ici vous resterez, et vous serez témoin de mes souffrances ; vous verrez ce que c’est que d’être en proie aux horreurs du désespoir, et de rendre le dernier soupir dans le blasphème et les imprécations ! — Et qui dois-je en remercier ? qui m’a entraîné à des crimes, dont le seul souvenir me fait frissonner ! fatale enchanteresse ! n’est-ce pas ta beauté ? n’as-tu pas plongé mon âme dans l’infamie ? n’as-tu pas fait de moi un parjure, un ravisseur, un assassin ! et, en ce moment même, ce regard d’ange ne me défend-il pas de croire à la clémence de Dieu ? Oh ! quand je serai devant son tribunal, ce regard suffira pour me damner ! Vous direz à mon juge que vous étiez heureuse avant que je vous eusse vue ; que vous étiez innocente avant que je vous eusse souillée ; vous viendrez avec ces yeux en pleurs, avec ces joues pâles et bleuies, ces mains suppliantes, levées comme lorsque vous imploriez cette grâce que je vous ai refusée ! Alors ma perdition sera certaine ! alors viendra l’ombre de votre mère me précipiter dans le séjour des démons, des flammes, des furies, et des tourments sans fin ! Et c’est vous qui m’accuserez, c’est vous qui serez cause de mon éternelle agonie — vous, malheureuse fille ! vous ! vous ! »

En prononçant ces paroles d’une voix tonnante, il ser-