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aurait pu pousser à tenter de la sauver. C’est ainsi qu’elle devait languir le reste de ses jours, sans autre nourriture que du pain et de l’eau, et sans autre consolation que la liberté de verser des larmes. »

L’indignation soulevée par cette révélation fut si violente, qu’elle interrompit pour quelques moments le récit de Sainte-Ursule. Quand le désordre eut cessé, et que le silence régna de nouveau dans l’assemblée, elle continua son discours, pendant lequel, à chaque mot, le visage de la supérieure trahissait une terreur croissante.

« On convoqua en conseil les douze nonnes les plus âgées : j’étais du nombre. L’abbesse peignit de couleurs exagérées la faute d’Agnès, et ne se fit pas scrupule de proposer la remise en vigueur de cette loi tombée en désuétude. Il faut le dire à la honte de notre sexe : soit que la volonté de la supérieure fût souveraine dans le couvent, soit que de vivre sans avenir dans la solitude et les privations leur endurcît le cœur et leur aigrît le caractère, cette proposition barbare fut approuvée par neuf voix sur douze. Je n’étais pas une des neuf. J’avais eu de fréquentes occasions de me convaincre des vertus d’Agnès, et je l’aimais et la plaignais profondément. Les mères Berthe et Cornélie se joignirent à moi : nous fîmes la plus forte opposition possible, et la supérieure se vit obligée de changer de plan. Quoiqu’elle eût pour elle la majorité, elle craignit de rompre ouvertement avec nous : elle savait qu’appuyées par la famille Médina, nous serions de trop redoutables adversaires, et elle savait aussi que sa perte serait certaine, si Agnès, après avoir été emprisonnée et supposée morte, venait à être découverte : elle renonça donc à son dessein, quoique avec beaucoup de répugnance ; elle demanda quelques jours pour songer à un genre de punition qui pût être approuvé de toute la