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par celle qui devait remplir dans la procession le rôle de sainte Claire. Pour cet emploi, on choisissait toujours la plus belle fille de Madrid, et celle sur qui la préférence tombait la regardait comme l’honneur le plus insigne. Attentif à la musique, dont les sons dans l’éloignement ne semblaient que plus doux, l’auditoire était absorbé dans une profonde attention. Un silence général régnait dans la foule, et tous les cœurs étaient remplis de respect pour la religion — tous, excepté celui de Lorenzo ; sachant que parmi celles qui chantaient avec tant de douceur les louanges de leur Dieu il en était qui, sous le manteau de la dévotion, cachaient les crimes les plus noirs, leurs hymnes ne lui inspiraient que de l’horreur pour leur hypocrisie. Il avait depuis longtemps observé avec blâme et mépris la superstition qui dominait les habitants de Madrid ; son bon sens lui avait indiqué les artifices des moines et l’absurdité grossière de leurs miracles, de leurs légendes et de leurs reliques supposées. Il rougissait de voir ses compatriotes dupes d’une déception si ridicule, et ne souhaitait qu’une occasion de les affranchir des entraves où les tenaient les moines : cette occasion, si longtemps et si vivement désirée, s’offrait enfin à lui ; il résolut de ne pas la laisser échapper, mais d’exposer aux yeux du peuple un tableau effrayant de l’énormité des abus qui se commettaient fréquemment dans les monastères, et de l’injustice qu’il y avait à honorer indistinctement tous ceux qui portaient un habit religieux : il lui tardait de démasquer les hypocrites, et de prouver à ses compatriotes qu’un saint extérieur ne cache pas toujours un cœur vertueux.

Le service dura jusqu’à minuit. Lorsque l’horloge du couvent se fit entendre, la musique cessa, les voix expirèrent, et bientôt les lumières disparurent des fenêtres