Antonia attribua son émotion à la pitié qu’elle lui inspirait.
« Je vous afflige, mon père, » continua-t-elle ; « ah ! ne soupirez pas de ma mort. Je n’ai aucun crime à me reprocher, aucun du moins que je connaisse, et je rends sans crainte mon âme à celui de qui je l’ai reçue. Je n’ai que peu de demandes à faire ; laissez-moi espérer qu’elles me seront accordées : qu’on dise une grand’messe pour le repos de mon âme, et une pour ma bien-aimée mère, non que je doute qu’elle dorme en paix dans sa tombe ; je suis persuadée à présent que ma raison était égarée, et la fausseté de la prédiction du fantôme suffit pour prouver mon erreur. Mais il n’est personne sans péchés ; ma mère peut en avoir commis que je ne connaissais point : je désire qu’on dise une messe pour son repos ; les frais en pourront être prélevés sur le peu que je possède ; tout ce qui restera, je le lègue à ma tante Léonella. Quand je serai morte, qu’on fasse savoir au marquis de Las Cisternas que la malheureuse famille de son frère ne l’importunera pas plus longtemps. Mais le désappointement me rend injuste ; on dit qu’il est malade, et peut-être, s’il l’avait pu, son intention était-elle de me protéger. Dites-lui donc seulement, mon père, que je suis morte, et que, s’il a quelques torts envers moi, je les lui pardonne du fond du cœur. Après cela, je n’ai plus à vous demander que vos prières. Promettez-moi de ne point oublier mes recommandations, et je quitterai la vie sans chagrin ni regrets. »
Ambrosio s’engagea à faire ce qu’elle désirait, et se mit à lui donner l’absolution. Chaque moment annonçait l’approche de la mort d’Antonia. La vue se perdit, le cœur battit plus lentement, les doigts se raidirent et devinrent froids, et à deux heures du matin elle expira sans un gémissement. Aussitôt que le souffle eut abandonné son corps,