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et s’assit dans la chaise qui, la nuit d’avant, avait reçu Antonia. En dépit des assurances de Mathilde, que le spectre était un pur effet de l’imagination, son esprit éprouvait une certaine horreur mystérieuse. Il essaya en vain de s’y soustraire : le silence de la nuit, l’histoire de l’apparition, la chambre garnie de sombres boiseries de chêne, le souvenir qu’elle réveillait en lui d’Elvire assassinée, et l’incertitude où il était sur la nature des gouttes qu’il avait fait prendre à Antonia, tout lui rendait pénible sa situation actuelle. Mais il pensait beaucoup moins au spectre qu’au poison : s’il avait tué le seul objet qui lui fît chérir la vie, si la prédiction du fantôme se réalisait, si Antonia n’existait plus au bout de trois jours, et qu’il fût la malheureuse cause de sa mort ! — cette supposition était trop affreuse pour s’y arrêter. Il chassa ces effrayantes images, et aussi souvent elles se représentèrent devant lui. Mathilde l’avait prévenu que les effets du narcotique seraient prompts : il écouta avec crainte, mais avec impatience, s’attendant à quelque bruit dans la pièce adjacente ; tout restait silencieux : il en conclut que les gouttes n’avaient pas commencé à opérer. Il jouait gros jeu : un moment suffisait pour décider de sa misère ou de son bonheur. Mathilde lui avait enseigné le moyen de s’assurer que la vie n’était pas éteinte pour toujours : de cet essai dépendaient toutes ses espérances ; à chaque instant son impatience redoublait, ses terreurs devenaient plus fortes, son anxiété plus vive. Incapable de supporter cet état d’incertitude, il essaya d’y faire diversion en substituant à ses pensées celles des autres. Les livres, ainsi qu’on l’a déjà dit, étaient rangés sur des tablettes près de la table : elle était exactement en face du lit, placé dans une alcôve près de la porte du cabinet. Ambrosio prit un volume, et s’assit à la table ; mais son es-