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nature. Elle soupçonna le prieur de jouer un rôle fort opposé à son inclination, et de ne pas demander mieux que de rester où il était ; elle alla même jusqu’à croire que Jacinthe était dans ses intérêts, et la pauvre vieille fut aussitôt tenue pour n’être rien de plus qu’une entremetteuse. Tout en s’applaudissant d’avoir pénétré ce complot tramé contre l’honneur de sa maîtresse, elle résolut en secret de le faire avorter.

« Ainsi donc, » dit-elle au prieur avec un regard moitié ironique, moitié indigné ; « ainsi donc votre intention est de rester ici cette nuit ? Faites-le, au nom du ciel ! personne ne s’y opposera ; veillez pour guetter l’arrivée du fantôme ; je veillerai aussi, et le seigneur veuille que je ne voie rien de pire qu’un fantôme ! Je ne quitte pas le chevet de doña Antonia pendant cette bienheureuse nuit ; que je voie quelqu’un oser entrer dans sa chambre, et, qu’il soit mortel ou immortel, qu’il soit fantôme, démon ou homme, je réponds bien qu’il se repentira d’en avoir passé le seuil ! »

L’avis était suffisamment clair, et Ambrosio en comprit le sens ; mais au lieu de montrer qu’il s’apercevait des soupçons de la duègne, il lui répondit avec douceur qu’il approuvait ses précautions, et l’engagea à persévérer dans son intention. Quant à cela, elle l’assura qu’il y pouvait compter. Jacinthe alors le conduisit à la chambre où le fantôme avait apparu, et Flora retourna chez sa maîtresse.

Jacinthe ouvrit d’une main tremblante la porte de la chambre du revenant ; elle y risqua un coup d’œil, mais les trésors de l’Inde ne l’auraient pas décidée à en franchir le seuil. Elle donna le flambeau au moine, lui souhaita bonne chance, et se hâta de s’en aller. Ambrosio entra ; il ferma la porte au verrou, posa sa lumière sur la table