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Serait-il vrai ! jouirai-je de ce bonheur ? pourrai-je lâcher la bride à mes sens et assouvir tous les désirs tumultueux qui me dévorent ? Oh ! Mathilde, comment vous exprimer ma reconnaissance ? »

« En profitant de mes conseils, Ambrosio. Je ne vis que pour vous servir ; votre intérêt et votre bonheur sont les miens : que votre personne soit à Antonia ; mais votre amitié, mais votre cœur, je réclame mes droits sur eux. Mes seuls plaisirs maintenant sont de contribuer aux vôtres. Que mes efforts vous procurent les jouissances que vous désirez, et je me croirai amplement payée de ma peine. Mais ne perdons pas de temps ; la liqueur dont je parle ne se trouve que dans le laboratoire de Sainte-Claire : allez trouver l’abbesse, demandez-lui à y entrer ; elle ne vous le refusera pas. Au bout de la grande salle est un cabinet rempli de liquides de différentes couleurs et qualités ; la bouteille en question est seule, sur la troisième tablette à gauche ; elle contient une liqueur verdâtre : remplissez-en une petite fiole sans qu’on vous voie, et Antonia est à vous. »

Le moine n’hésita pas à adopter ce plan infâme. Ses désirs, qui n’étaient déjà que trop fougueux, avaient acquis une vigueur nouvelle à la vue d’Antonia. Assis près de son lit, le hasard lui avait dévoilé des charmes inaperçus jusqu’alors : il les trouva plus parfaits que son ardente imagination ne les lui avait dépeints. Parfois un bras blanc et poli se montrait en arrangeant l’oreiller ; parfois un mouvement soudain découvrait une partie d’un sein arrondi : mais partout où s’offrait un nouveau charme, là se fixait l’œil luxurieux du moine ; à peine était-il assez maître de lui pour cacher sa convoitise à Antonia et à la vigilante duègne. Enflammé par le souvenir de ces attraits, il entra sans balancer dans le projet de Mathilde.