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pouvait bien crier, pauvre âme ! à sa place, j’aurais crié dix fois plus fort), il me vint aussitôt à l’idée que si quelqu’un avait le pouvoir de faire tenir ce spectre tranquille, ce devait être votre révérence. Je suis donc venue ici en toute diligence vous prier de vouloir bien asperger ma maison d’eau bénite, et plonger ce revenant dans la mer rouge. »

Ambrosio refusa de croire à cet étrange récit.

« Doña Antonia a-t-elle vu aussi le fantôme ? » dit-il.

« Tout comme je vous vois, révérend père. »

Ambrosio resta un moment sans parler : c’était une occasion de s’introduire chez Antonia, mais il hésitait à en user ; la réputation dont il jouissait à Madrid lui était chère encore, et depuis qu’il avait perdu la réalité de la vertu, l’apparence semblait lui en être devenue plus précieuse. Il sentait qu’enfreindre publiquement la règle qu’il s’était faite de ne jamais quitter l’enceinte du couvent, ce serait déroger beaucoup à son austérité supposée. Dans ses visites à Elvire, il avait toujours pris soin de cacher ses traits aux domestiques : à l’exception de la dame, de sa fille et de la fidèle Flora, il n’était connu dans la maison que sous le nom de père Jérôme. S’il accédait à la requête de Jacinthe, et l’accompagnait chez elle, il savait que la violation de cette règle ne resterait pas secrète. Cependant, le désir de voir Antonia l’emporta ; il espéra même que la singularité de cette aventure le justifierait aux yeux de Madrid. Mais, quelles que pussent être les conséquences, il résolut de profiter de l’occasion que le hasard lui offrait : un regard expressif de Mathilde le confirma dans ce dessein.

« Bonne femme, » dit-il à Jacinthe, « ce que vous me contez est si extraordinaire que j’ai peine à vous croire ; toutefois, je consens à ce que vous me demandez. De-