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champ, il allait quitter le parloir, et la laisser se tirer toute seule d’embarras. Cette menace eut l’effet désiré. Jacinthe exposa son affaire en aussi peu de mots qu’elle put ; mais son récit fut toujours si prolixe qu’Ambrosio eut besoin de toute sa patience pour l’entendre jusqu’à la fin.

« Si bien donc, votre révérence, » dit-elle, après avoir relaté la mort et l’enterrement d’Elvire dans tous leurs détails, « si bien donc, votre révérence, qu’en entendant le cri, je jetai mon ouvrage, et courus à la chambre de doña Antonia. N’y trouvant personne, je passai dans la suivante ; mais je dois avouer que j’avais un peu peur d’y entrer, car c’était la chambre à coucher de doña Elvire. Cependant j’entrai, et ma foi la jeune personne était étendue tout de son long sur le plancher, froide comme une pierre, et blanche comme un drap. Je fus bien surprise, comme votre sainte personne peut le supposer ; mais, bon Dieu ! comme je tremblai quand je vis à mon coude un grand fantôme dont la tête touchait au plafond. C’était bien le visage de doña Elvire ; mais il lui sortait de la bouche des nuages de feu ; ses bras étaient chargés de lourdes chaînes qui faisaient un bruit lugubre, et chacun des cheveux de sa tête était un serpent aussi gros que mon bras. À sa vue, je ne laissai pas que d’être effrayée, et je me mis à dire mon Ave Maria ; mais le fantôme, m’interrompant, poussa trois longs gémissements, et hurla d’une voix terrible : « Oh ! cette aile de poulet ! c’est à cause d’elle que souffre ma pauvre âme ! » À peine avait-il parlé que la terre s’ouvrit, le spectre s’abîma, j’entendis un coup de tonnerre, et la chambre se remplit d’une odeur de soufre. Quand je fus remise de ma frayeur, et que j’eus fait revenir à elle doña Antonia, qui me dit qu’elle avait crié en voyant l’ombre de sa mère (et elle