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Ambrosio seul avec sa fille, et d’empêcher, s’il était possible, qu’ils ne se rencontrassent. Flora avait promis d’obéir, et avait exécuté cet ordre à la lettre. La visite d’Ambrosio avait été refusée, sans qu’Antonia le sût. Il vit qu’il ne fallait pas songer à obtenir de voir sa maîtresse sans recourir à la ruse ; et Mathilde et lui avaient passé la nuit à inventer un nouveau plan dont l’issue pût être plus heureuse. Telle était leur occupation, quand un frère lai entra dans la cellule du prieur, et l’informa qu’une femme qui se nommait Jacinthe Zuniga demandait audience pour quelques minutes.

Ambrosio n’était aucunement disposé à recevoir cette visite ; il refusa positivement, et ordonna au frère lai de dire à l’étrangère de revenir le lendemain. Mathilde l’interrompit —

« Voyez cette femme, » dit-elle à voix basse ; « j’ai mes raisons. »

Le prieur lui obéit, et annonça qu’il allait se rendre au parloir immédiatement. Le frère lai se retira avec cette réponse. Aussitôt qu’ils furent seuls, Ambrosio demanda à Mathilde pourquoi elle désirait qu’il vît cette Jacinthe.

« C’est l’hôtesse d’Antonia, » repartit Mathilde ; « il est possible qu’elle vous soit utile : examinons-la et sachons ce qui l’amène ici. »

Ils allèrent ensemble au parloir, où déjà Jacinthe attendait le prieur. Elle avait conçu une haute opinion de sa piété et de sa vertu ; et, lui supposant beaucoup d’influence sur le diable, elle pensait qu’il lui serait facile de jeter l’âme d’Elvire dans la mer rouge. C’était dans cette persuasion qu’elle avait couru au couvent. Dès qu’elle vit entrer le prieur au parloir, elle tomba à genoux et commença son histoire en ces termes :

« Oh ! révérend père ! quel accident ! quelle aventure !