Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les yeux, et à les porter craintivement sur elle. Elle n’avait point la figure tournée vers lui ; elle avait la tête appuyée sur sa harpe, dans une pose mélancolique, et elle considérait le portrait suspendu en face du lit.

« Heureuse, heureuse image ! » (’est ainsi qu’elle s’adressait à la belle madone) ; « c’est à vous qu’il offre ses prières ; c’est vous qu’il contemple avec admiration. Je pensais que vous auriez allégé mes peines ; vous n’avez servi qu’à les aggraver ; vous m’avez fait sentir que, si je l’avais connu avant qu’il ne prononçât ses vœux, Ambrosio et le bonheur auraient pu être à moi. Avec quel plaisir il regarde cette peinture ; avec quelle ferveur il adresse ses prières à cette image insensible ! Ah ! ses sentiments ne peuvent-ils être inspirés secrètement par quelque bon génie propice à mon amour ? n’est-ce pas l’instinct naturel de l’homme qui l’avertit ? Taisons-nous ! vaines espérances ! n’encourageons pas une idée qui ôte de son éclat à la vertu d’Ambrosio. C’est la religion, et non la beauté, qui attire son admiration : ce n’est pas devant la femme, c’est devant la divinité qu’il s’agenouille. Ah ! s’il pouvait m’adresser la moins tendre des expressions qu’il prodigue à cette madone ! si seulement il me disait que, s’il n’était pas fiancé à l’église, il n’aurait pas dédaigné Mathilde ! Oh ! nourrissons cette douce idée ; peut-être avouera-t-il qu’il sent pour moi plus que de la pitié, et qu’une affection telle que la mienne aurait mérité du retour. Peut-être en conviendra-t-il quand je serai au lit de la mort. Il n’aura plus à craindre alors d’enfreindre ses vœux, et la confession de sa tendresse adoucira les tortures de l’agonie. Si j’avais cette certitude ! oh ! comme je soupirerais après l’instant de ma destruction ! »

Le prieur ne perdit pas une syllabe de ce discours : et le ton dont elle en prononça les derniers mots lui perça