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« Celui qui a fait cette recommandation ne savait pas tout ce que j’ai d’intéressant à dire. »

« Mais moi, je le sais, et pourtant je renouvelle positivement son ordre. Je suis chargée de vous garder, et vous ne devez pas me désobéir. »

« Vous êtes gaie, Mathilde ! »

« Je puis bien l’être ; je viens d’éprouver un plaisir tel que je n’en avais jamais eu de ma vie. »

« Quel est ce plaisir ? »

« C’est ce que je dois cacher à tout le monde, mais surtout à vous. »

« Mais surtout à moi ? Non, non, je vous prie, Mathilde — »

« Chut ! mon père, chut ! il ne faut pas parler. Mais comme vous ne paraissez pas avoir envie de dormir, voulez-vous que j’essaie de vous amuser avec ma harpe ? »

« Comment ? Vous savez la musique ? »

« Oh ! je suis un triste talent. Cependant, comme le silence vous est prescrit pendant quarante-huit heures, peut-être vous distrairai-je, quand vous serez fatigué de vos réflexions. Je vais chercher ma harpe. »

Elle revint bientôt.

« Maintenant, mon père, que vous chanterai-je ? Voulez-vous entendre la ballade en l’honneur du vaillant Durandarte qui périt à la fameuse bataille de Roncevaux ? »

« Ce que vous voudrez, Mathilde. »

« Oh ! ne m’appelez pas Mathilde ! appelez-moi Rosario, appelez-moi votre ami. Voilà les noms que j’aime à voir sortir de vos lèvres. À présent, écoutez. »

Elle accorda sa harpe, puis elle préluda quelques moments avec un goût exquis, et qui prouvait un talent consommé. L’air qu’elle joua était doux et plaintif. Ambrosio, en l’écoutant, sentit son malaise se dissiper, et