Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Oui ; je prouverai la sincérité de ma tendresse en me soumettant à un arrêt qui me déchire le cœur. Reprenez votre parole ; je quitterai le monastère aujourd’hui même. J’ai une parente qui est supérieure d’un couvent dans l’Estramadure, c’est près d’elle que j’irai et que je me séparerai du monde pour toujours. Mais dites-moi, mon père, vos vœux me suivront-ils dans ma solitude ? Ne distrairez-vous pas quelquefois votre attention des objets célestes pour m’accorder une pensée ? »

« Ah ! Mathilde, j’ai peur de ne penser que trop souvent à vous pour mon repos ! »

« Je n’ai donc plus rien à désirer, si ce n’est de nous retrouver ensemble dans le ciel. Adieu, mon ami, mon Ambrosio ! Et pourtant, ce me semble, ce serait une consolation pour moi d’emporter quelque gage de votre affection. »

« Que vous donnerai-je ? »

« La moindre chose — peu importe — une de ces fleurs suffira. » (Elle désignait un buisson de roses planté à la porte de la grotte.) « Je la cacherai dans mon sein, et quand je serai morte, les nonnes la trouveront séchée sur mon cœur. »

Le moine était hors d’état de répondre : d’un pas lent, et l’âme accablée d’affliction, il sortit de l’ermitage. Il s’approcha du buisson et s’y arrêta pour cueillir une rose ; soudain, il poussa un cri perçant, revint précipitamment sur ses pas, et laissa tomber de sa main la fleur qu’il tenait déjà. Mathilde, qui l’avait entendu, vola à lui avec empressement.

« Qu’y a-t-il ? » s’écria-t-elle. « Répondez-moi, au nom du ciel ! qu’est-il arrivé ? »

« Je suis mort, » répliqua-t-il d’une voix faible : « caché parmi les roses — un serpent — »