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de votre personne. Daignez écouter ma défense : peu d’instants vous convaincront que cette sainte retraite n’est point souillée par ma présence, et que vous pouvez m’accorder votre compassion sans enfreindre vos vœux. »

Elle s’assit. Ambrosio, sachant à peine ce qu’il faisait, suivit son exemple, et elle reprit :

« Je suis d’une famille distinguée ; mon père était chef de la noble maison de Villanegas ; il mourut quand je n’étais encore qu’une enfant, et il me laissa seule héritière de ses biens immenses. Jeune et riche, je fus recherchée en mariage par les plus nobles jeunes gens de Madrid ; mais aucun ne réussit à gagner mon affection. J’avais été élevée sous la surveillance d’un oncle qui joignait au plus solide jugement l’érudition la plus étendue ; il prit plaisir à m’initier à une partie de son savoir ; sous ses soins, mon intelligence acquit plus de force et plus de justesse qu’il n’appartient ordinairement à mon sexe : l’habileté de mon précepteur étant secondée par ma curiosité naturelle, non seulement je fis de grands progrès dans les sciences qu’on étudie généralement, mais aussi dans celles qui ne comptent que peu d’adeptes, et que réprouve une aveugle superstition. Mais, tout en travaillant à élargir la sphère de mes connaissances, mon tuteur ne négligeait pas de m’inculquer tous les principes de la morale : il m’affranchissait des entraves du préjugé vulgaire ; il me montrait la beauté de la religion ; il m’enseignait à contempler avec adoration les purs et les vertueux ; et, malheur à moi ! je ne lui ai que trop obéi !

« Dans de telles dispositions, jugez si je pouvais voir avec un autre sentiment que le dégoût, les vices, la dissipation et l’ignorance qui déshonorent notre jeunesse espagnole. Je rejetai chaque offre avec dédain ; mon cœur resta sans maître, jusqu’à ce que le hasard me conduisît