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afin d’apprendre à compatir à la mienne ? Mon père ! » continua-t-il en se jetant aux pieds du moine, dont il pressait avec transport les mains sur ses lèvres, tandis que l’agitation pour un moment étouffait ses paroles, « mon père ! » continua-t-il d’une voix défaillante, « je suis une femme ! »

À cet aveu inattendu, le moine tressaillit. Le faux Rosario était prosterné à terre, comme attendant en silence la décision de son juge. D’une part, l’étonnement, de l’autre, l’appréhension, les enchaîna pour quelques minutes dans la même attitude, comme s’ils avaient été touchés par la baguette d’un magicien. Enfin, revenant de sa confusion, le moine quitta la grotte, et s’enfuit précipitamment vers le couvent. Son mouvement n’échappa pas à la suppliante. Elle se releva, s’élança après lui, le rejoignit, et lui barra le passage, en lui embrassant les genoux. Ambrosio essaya en vain de se dégager de cette étreinte.

« Ne me fuyez pas ! » cria-t-elle, « ne m’abandonnez pas à l’impulsion de mon désespoir ! écoutez la justification de mon imprudence. L’histoire de ma sœur est la mienne ! Je suis Mathilde, vous êtes celui qu’elle aime ! »

Si la surprise d’Ambrosio fut grande au premier de ces aveux, elle passa au second toutes les bornes. Stupéfait, interdit et irrésolu, il se trouva incapable de prononcer une syllabe, et resta muet à regarder Mathilde. Elle en profita pour continuer son explication en ces termes :

« Ne pensez pas, Ambrosio, que je vienne dérober vos affections à votre fiancée. Non, croyez-moi : la religion est seule digne de vous, et il s’en faut que Mathilde veuille vous détourner des sentiers de la vertu. Ce que je sens pour vous n’est point un amour impur ; je soupire après la possession de votre cœur, et je ne convoite pas celle