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« Ils n’exciteront pas votre pitié. Vous ne connaissez pas le pouvoir de ces irrésistibles, de ces funestes sentiments dont son cœur fut la proie. Mon père, un amour malheureux, une passion pour un être doué de toutes les vertus, pour un homme, ou plutôt pour un dieu, a empoisonné son existence. Noble aspect, réputation intacte, talents variés, sagesse solide, merveilleuse, parfaite : le cœur le moins sensible se serait enflammé. Ma sœur le vit et osa l’aimer, quoique sans jamais oser nourrir d’espoir. »

« Puisque son amour était si bien placé, pourquoi lui était-il défendu d’espérer le succès de ses vœux ? »

« Mon père, avant de la connaître, Julien avait déjà engagé sa foi à une fiancée toute belle, toute céleste ! Cependant ma sœur l’aimait toujours, et pour l’amour de l’époux, elle adorait la femme. Un matin, elle trouva moyen de s’échapper de la maison de notre père : vêtue d’humbles habits, elle se présenta comme domestique à l’épouse de son bien aimé, et elle fut acceptée. Depuis lors elle le voyait à tout instant ; elle s’efforça de s’insinuer dans ses bonnes grâces : elle y réussit. Ses prévenances attirèrent l’attention de Julien : les cœurs vertueux sont toujours reconnaissants, et il distingua Mathilde entre toutes ses compagnes. »

« Et vos parents ne firent-ils point de recherches ? Se soumirent-ils avec résignation à leur perte, et n’essayèrent-ils point de retrouver leur fille fugitive ? »

« Avant qu’ils n’y parvinssent, elle se découvrit elle-même. Son amour était trop violent pour rester caché ; toutefois, elle n’enviait pas la possession de Julien, elle n’ambitionnait qu’une place dans son cœur. Dans un moment d’oubli, elle confessa son affection. Mais qu’obtiunt-elle en retour ? Épris de sa femme, et croyant qu’un