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vu les murs de ce couvent, vous ne m’auriez jamais vu ! Est-ce là vraiment votre idée ? »

« Que ne vous ai-je jamais vu ! » répéta le jeune novice, se levant et serrant avec frénésie la main du moine. « Vous ! vous ! plût à Dieu qu’avant de vous rencontrer, un éclair m’eût brûlé les yeux ! plût à Dieu que je ne vous revisse jamais, et que je pusse oublier que je vous ai jamais vu ! »

À ces mots, il s’élança hors de la grotte. Ambrosio resta dans sa première attitude, réfléchissant sur la conduite inexplicable du jeune homme. Il était tenté de croire à un dérangement d’esprit ; cependant la conduite habituelle de Rosario, la liaison de ses idées et le calme de son maintien jusqu’au moment où il avait quitté la grotte, semblaient démentir cette conjecture. Au bout de quelques minutes, il revint. Il se rassit sur le banc : il appuya sa joue sur une main, et de l’autre il essuya les larmes qui, par intervalles, coulaient le long de ses yeux.

Le moine le regardait avec compassion, et s’abstint d’interrompre ses méditations. Tous deux gardèrent quelque temps un profond silence. Le rossignol s’était perché sur un oranger devant la porte de l’ermitage, et soupirait les plus mélancoliques de ses accents mélodieux. Rosario releva la tête, et l’écouta avec attention.

« C’est ainsi, » dit-il avec un profond soupir, « c’est ainsi qu’au dernier mois de sa vie infortunée, ma sœur aimait à écouter le rossignol. Pauvre Mathilde ! elle dort dans la tombe, et son cœur brisé ne bat plus d’amour. »

« Vous aviez une sœur ? »

« Vous dites vrai, j’avais une sœur. Hélas ! je n’en ai plus. Elle a succombé à ses chagrins, au printemps de la vie. »

« Quels étaient ces chagrins ? »