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dégoût, si je pouvais m’ensevelir pour toujours dans quelque impénétrable solitude, et oublier que le monde contient des êtres qui méritent d’être aimés ! Ô Dieu ! oh ! quelle bénédiction pour moi que la misanthropie ! »

« C’est là une étrange pensée, Rosario, » dit le prieur, en pénétrant dans la grotte.

« Vous ici, révérend père ! » s’écria le novice.

Aussitôt, se levant tout confus, il abaissa vite son capuchon sur sa figure. Ambrosio s’assit sur le banc et obligea le jeune homme de s’y placer près de lui.

« Il ne faut pas caresser cette disposition à la mélancolie, » dit-il. « D’où vient que vous envisagez sous un jour si favorable la misanthropie, de tous les sentiments le plus odieux ? »

« Mon père, j’ai lu ces vers, qui jusqu’ici avaient échappé à mon attention. La clarté des rayons de la lune m’a permis de les déchiffrer ; et combien j’envie les sentiments de leur auteur ! »

À ces mots, il montra du doigt une plaque de marbre fixée dans le mur opposé, et où étaient gravés les vers suivants :

INSCRIPTION D’UN ERMITAGE.

Qui que tu sois qui lises ces vers, ne crois pas que si, retiré du monde, je me plais à passer mes jours solitaires dans ce triste désert, ce soit une conscience saignant de remords qui m’ait conduit ici.

Aucune pensée coupable n’aigrit mon âme ; j’ai fui volontairement les cours ; car j’ai bien vu que la luxure et l’orgueil, les deux plus sombres, les deux plus chers alliés du démon, trônent en souverains dans les châteaux et dans les tours. J’ai vu le genre humain rongé de vices ; j’ai vu que le glaive de l’honneur était rouillé ; qu’il était peu de cœurs qui aspi-