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et quand il a parlé des pécheurs, on eût dit qu’il allait les manger. »

« Vous avez raison, señora, » repartit don Christoval ; « trop de sévérité est, dit-on, le seul défaut d’Ambrosio. Exempt lui-même des humaines faiblesses, il n’est point assez indulgent pour celles des autres ; et bien que strictement juste et impartial dans ses décisions, son administration a déjà fourni des preuves de son inflexibilité. Mais la foule est presque dissipée : voulez-vous nous permettre de vous accompagner jusqu’à votre demeure ? »

« Ô Jésus ! señor, » s’écria Léonella, feignant de rougir, « je ne voudrais pas le souffrir pour tout au monde ! Si je rentrais escortée d’un si galant cavalier, ma sœur est si scrupuleuse, qu’elle me ferait de la morale pendant une heure ; ce serait à n’en pas voir la fin. D’ailleurs, je préfère que vous différiez quelque peu vos propositions. »

« Mes propositions ? Je vous proteste, señora — »

« Oh ! señor, je ne doute pas de votre impatience ni de la sincérité de vos protestations ; mais réellement, j’ai besoin d’un peu de répit. Ce ne serait point agir avec toute la délicatesse dont je me pique, que d’accepter votre main à première vue. »

« Accepter ma main ! Comme il est vrai que je vis et que je respire — »

« Oh ! cher señor, ne me pressez pas davantage, si vous m’aimez. Je considérerai votre obéissance comme une preuve de votre affection. Vous recevrez demain de mes nouvelles : adieu donc. Mais, cavaliers, ne puis-je vous demander vos noms ? »

« Mon ami est le comte d’Ossorio ; moi, je suis Lorenzo de Médina. »

« Il suffit. Eh bien ! don Lorenzo, je ferai part à ma sœur de votre offre obligeante, et je vous instruirai sans