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mon père on prison, mon père, le cordonnier le plus honnête et le plus laborieux qui fût à Cordoue ; et à son départ, il eut la cruauté de nous prendre le petit garçon de ma sœur, alors à peine âgé de deux ans, et que, dans la précipitation de la fuite, elle avait été obligée de laisser derrière elle. Je présume que le pauvre petit misérable fut cruellement traité par lui, car, peu de mois après, nous reçûmes la nouvelle de sa mort. »

« C’était, señora, un terrible homme que ce vieillard ! »

« Horrible ! et si totalement dénué de goût ! Le croiriez-vous, señor ? quand je m’efforçai de l’apaiser, il me traita de maudite sorcière, et il souhaita que, pour punir le comte, ma sœur devînt aussi laide que moi ! Laide ! en vérité ! il est adorable ! »

« On n’est pas plus ridicule ! » s’écria don Christoval. « Sans aucun doute le comte eût été trop heureux de pouvoir échanger une sœur contre l’autre. »

« Oh ! Jésus ! señor, vous êtes réellement trop poli ! Néanmoins, je suis enchantée, ma foi, que le comte ait été d’un autre avis. Elviro a fait là une si brillante affaire ! Après être restée à bouillir et à rôtir aux Indes pendant treize longues années, son mari meurt, et elle revient en Espagne, sans un toit pour abriter sa tête, sans argent pour s’en procurer. Antonia, que voici, était toute petite alors, et c’était le seul enfant qui lui restât. Elle trouva son beau-père remarié ; il était toujours furieux contre le comte, et sa seconde femme lui avait donné un fils, qui, à ce qu’on dit, est un fort beau jeune homme. Le vieux marquis refusa de voir ma sœur et son enfant ; mais il lui fit savoir que, sous la condition de ne jamais entendre parler d’elle, il lui assignerait une petite pension, et lui permettrait de