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nas, sans amis. Elle est jeune et sans artifice ; elle ignore la perfidie du monde, et ses charmes sont suffisants pour la rendre un objet de séduction : jugez donc combien je dois trembler pour son avenir, jugez combien je dois tenir à l’éloigner de toute société qui pourrait éveiller les passions qui dorment encore dans son sein. Vous êtes aimable, don Lorenzo ; Antonia a un cœur impressionnable, un cœur aimant, et elle est reconnaissante de tout le bien que vous nous avez fait en intervenant auprès du marquis. Votre présence m’effraie : je crains qu’elle n’inspire à ma fille des sentiments qui peuvent répandre de l’amertume sur le reste de sa vie, ou qu’elle ne l’encourage à nourrir des espérances injustifiables et frivoles. Pardonnez-moi de vous avouer mes terreurs, et que ma franchise me serve d’excuse. Je ne puis vous interdire ma maison : la gratitude me retient ; tout ce que je puis, c’est de me confier à votre générosité et de vous supplier d’épargner le cœur inquiet d’une mère qui ne vit que pour sa fille. Croyez que je regrette amèrement de ne pouvoir cultiver votre connaissance ; mais c’est un mal sans remède ; et l’intérêt d’Antonia m’oblige de vous prier de cesser vos visites. En accédant à ma demande, vous augmenterez encore l’estime que j’ai pour vous, et dont tout me persuade que vous êtes vraiment digne. »

« Votre franchise me charme, » répliqua Lorenzo ; « vous verrez que l’opinion favorable que vous avez de moi ne vous a point trompée ; j’espère pourtant que les raisons que j’ai à alléguer vous décideront à retirer une demande à laquelle je n’obéirais pas sans une extrême répugnance. J’aime votre fille, je l’aime sincèrement ; je ne souhaite pas de plus grand bonheur que de lui inspirer les mêmes sentiments, et de recevoir sa main à l’autel. Il est vrai que je ne suis pas riche moi-même,