Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Antonia était restée seule avec sa mère : elles gardèrent quelque temps le silence. Toutes deux désiraient de parler du même sujet ; mais aucune ne savait comment l’amener. L’une éprouvait une honte qui lui fermait la bouche, et dont elle ne pouvait se rendre compte ; l’autre craignait de confirmer ses craintes ou d’inspirer à sa fille des idées auxquelles celle-ci pouvait encore être étrangère. Enfin Elvire commença la conversation.

« C’est un charmant jeune homme, Antonia ; il me plaît beaucoup. Est-il resté longtemps près de vous dans la cathédrale ? »

« Il ne m’a pas quittée d’un seul moment tant que j’ai été dans l’église ; il m’a donné son siège, et il a été très obligeant et très prévenant. »

« Vraiment ! Pourquoi donc ne m’en avez-vous pas parlé ? Votre tante a fait un pompeux éloge de son ami, et vous avez vanté l’éloquence d’Ambrosio ; mais nulle n’a dit un mot ni de la personne de don Lorenzo ni de son mérite. Si Léonella n’avait pas annoncé qu’il était disposé à plaider notre cause, je n’aurais pas su qu’il existait. »

Elle s’arrêta. Antonia rougissait, mais elle restait silencieuse.

« Peut-être le jugez-vous moins favorablement que moi. À mon avis, sa tournure est agréable, sa conversation sensée et ses manières engageantes ; mais il peut vous avoir fait une autre impression : vous pouvez le trouver déplaisant et — »

« Déplaisant ? Oh ! chère mère, comment serait-ce possible ? Je serais bien ingrate si je n’étais pas sensible aux bontés qu’il a eues pour moi et bien aveugle si son mérite m’avait échappé. Sa tournure est si gracieuse, si noble, ses manières si douces, quoique si mâles ! Je n’ai jamais vu tant de perfections réunies sur une seule per-