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dans tes bras, jouera sur les genoux, ou dormira sur ta poitrine : mon flambeau réchauffera ton cœur glacé par l’âge ; ma main désarmera la rage du pâle hiver, et la jeunesse et le printemps auront ici leurs fêtes comme autrefois. »

Il se tira de l’aile, en souriant, une plume de couleur d’or ; l’enfant la met dans la main du poète, et soudain devant les yeux d’Anacréon les plus beaux rêves de l’imagination se dressent, et l’inspiration au vol sauvage plane autour de sa tête favorisée.

Son sein brûle de la flamme amoureuse ; il saisit avec ardeur la lyre magique ; ses doigts se meuvent rapides sur les cordes mélodieuses ; la plume arrachée à l’aile de Cupidon parcourt l’instrument trop longtemps négligé, tandis que le doux Anacréon chante le pouvoir et l’éloge de l’amour.

À ce nom, les forêts secouèrent leurs neiges ; les flots, se fondant, brisèrent leurs chaînes de glace, et l’hiver s’enfuit. De nouveau la terre se para de fleurs ; de tièdes zéphirs traversèrent les bocages verdoyants ; le soleil monta dans sa gloire et versa les feux du jour.

Attirés par les sons harmonieux, les sylvains et les faunes entourent en foule la cabane, curieux de voir le chanteur ; les nymphes des bois s’empressent de se placer sous le charme ; avides, elles accourent : elles écoutent, elles aiment, et, en entendant ses accords, elles oublient qu’il est vieux.

L’amour, que rien ne captive longtemps, perché sur la harpe, prête l’oreille au chant, ou étouffe sous un baiser les notes suaves ; tantôt il repose sur le sein du poète, tantôt il entrelace de roses ses cheveux blancs, ou, soutenu sur des ailes d’or, il voltige autour en cercles folâtres.

Alors Anacréon : — « Je ne veux plus porter mes vœux à d’autres autels, puisque l’amour daigne inspirer mes vers ; je ne réclamerai plus pour eux l’aide de Phœbus ou de la fille aux yeux bleus ; car l’amour seul sera le patron de ma lyre.

« Dans les chants ambitieux de mes premiers jours, j’ai répandu au loin la louange des rois ou des héros, et j’ai enflammé du feu épique les cordes martiales ; mais adieu, héros ! adieu, rois ! mes lèvres ne chauleront plus vos exploits, car l’amour seul sera le sujet de ma lyre. »