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même quand je confesserai que, dans un moment d’oubli, l’honneur d’Agnès fut sacrifié à ma passion. »

Les yeux de Lorenzo étincelèrent de courroux ; une rougeur foncée se répandit sur son visage ; il se leva de son siège et essaya de tirer son épée. Le marquis vit son mouvement, et prit sa main qu’il serra affectueusement.

« Mon ami ! mon frère ! entendez-moi jusqu’au bout ! jusque-là modérez votre colère ; et soyez du moins convaincu que, si ce que je vous ai raconté est criminel, le blâme doit tomber sur moi et non sur votre sœur. »

Lorenzo se laissa apaiser par les prières de don Raymond : il reprit sa place, et écoula le reste du récit d’un air sombre et impatient. Le marquis continua ainsi :

« Après les premiers transports de la passion, Agnès, revenue à elle, s’arracha de mes bras avec horreur. Elle m’appela séducteur infâme, m’accabla des plus amers reproches, et se frappa le sein dans tout l’égarement du délire. Honteux de mon imprudence, je savais à peine que dire pour m’excuser. Je m’efforçai de la consoler ; je me jetai à ses pieds et j’implorai son pardon. Elle me retira sa main, que j’avais prise et que je voulais presser sur mes lèvres.

« Ne me touchez pas ! » cria-t-elle avec une violence qui m’effraya. « Monstre de perfidie et d’ingratitude, combien j’ai été trompée sur vous ! Je vous regardais comme mon ami, mon protecteur ; je me mettais entre vos mains avec confiance, et, comptant sur votre honneur, je pensais que le mien ne courait aucun risque : et c’est vous, vous que j’adorais, qui me couvrez d’infamie ! c’est vous qui m’avez entraînée à manquer au serment que j’ai fait à Dieu ! c’est par vous que je suis tombée au niveau des femmes les plus viles ! Honte à vous, misérable ! Vous ne me verrez plus ! »