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tance pécuniaire ; et lorsqu’il verra l’inutilité de son ressentiment, il vous rendra certainement ses bonnes grâces. Mais cavons au pis : quand don Gaston serait implacable, mes parents s’efforceront à l’envi de vous faire oublier sa perte, et mon père remplacera pour vous celui dont je vous aurai privé. »

« Don Raymond, » repartit Agnès d’une voix ferme et résolue, « j’aime mon père : ce n’est que dans cette seule circonstance qu’il m’a traitée durement ; mais, à cela près, j’ai reçu de lui tant de preuves d’amour que sa tendresse est devenue nécessaire à mon existence. Si je quittais le couvent, il ne me pardonnerait jamais, et je ne puis m’empêcher de frémir à l’idée qu’il me maudirait au lit de mort. D’ailleurs je sens moi-même que mes vœux me lient. J’ai contracté un engagement volontaire avec le ciel : je ne puis le rompre sans crime. Bannissez donc de votre esprit la pensée que nous pouvons jamais être unis. Je suis vouée à la religion ; et quoique je puisse gémir de notre séparation, je mettrais moi-même obstacle à un projet qui, je le sens, me rendrait coupable. »

« Je tâchai de triompher de ces scrupules mal fondés. Nous étions encore à discuter ce sujet, lorsque la cloche du couvent appela les nonnes à matines. Agnès fut obligée de s’y rendre ; mais elle ne me quitta pas sans que je lui eusse fait promettre que, la nuit suivante, elle serait au même endroit à la même heure. Ces entrevues continuèrent sans interruption pendant quelques semaines ; et c’est maintenant, Lorenzo, que j’ai à implorer votre indulgence ; réfléchissez à notre situation, à notre jeunesse, à notre long attachement ; pesez toutes les circonstances qui accompagnaient nos rendez-vous, et vous conviendrez que la tentation était irrésistible ; vous pardonnerez