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elle avoua l’injustice de ses soupçons et se blâma d’avoir pris le voile par désespoir de mon ingratitude.

« Mais à présent il est trop tard pour se repentir ! » ajouta-t-elle ; « le dé est jeté, j’ai prononcé mes vœux, et je me suis consacrée au service du ciel. Je sens combien je suis peu faite pour le couvent. Mon dégoût de la vie monastique croît chaque jour ; l’ennui et le mécontentement sont mes compagnons assidus, et je ne vous cacherai pas que la passion que j’ai éprouvée précédemment pour quelqu’un qui était si près d’être mon mari n’est pas encore éteinte dans mon sein ; mais il faut fuir ! une barrière insurmontable nous sépare l’un de l’autre, et de ce côté du tombeau nous ne devons plus nous revoir. »

« Je m’efforçai de lui prouver que notre union n’était pas si impossible qu’elle semblait le penser ; je lui vantai l’influence du cardinal-duc de Lerme à la cour de Rome ; je l’assurai que j’obtiendrais aisément la révocation de ses vœux ; et je ne mis pas en doute que don Gaston n’entrât dans mes vues lorsqu’il connaîtrait mon nom réel et mon long attachement. Agnès répliqua que, pour entretenir une telle espérance, il fallait que je connusse bien peu son père. Généreux et bon sous tout autre rapport, la superstition faisait seule une tache sur son caractère ; sur ce chapitre il était inflexible : il sacrifiait ses plus chers intérêts à ses scrupules, et considérerait comme une insulte de le supposer capable d’autoriser sa fille à enfreindre le vœu qu’elle avait fait au ciel.

« Mais, » interrompis-je, « en supposant qu’il désapprouvât notre union, laissez-le dans l’ignorance de mes démarches jusqu’à ce que je vous aie délivrée de la prison où vous êtes retenue. Une fois ma femme, vous n’êtes plus dans sa dépendance. Je n’ai besoin d’aucune assis-