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donna positivement de quitter le jardin. Ce fut alors mon tour de refuser. Je protestai que, quelque dangereuses que pussent être les conséquences, je ne la laisserais pas qu’elle n’eût entendu ma justification. Je l’assurai qu’elle avait été abusée par les artifices de ses parents ; que je la convaincrais, à n’en pouvoir douter, que ma passion avait été pure et désintéressée ; et je lui demandai ce qui m’aurait engagé à la chercher jusque dans ce couvent si j’étais influencé par les motifs égoïstes que mes ennemis m’avaient attribués.

« Mes prières, mes arguments et mes serments de ne la point quitter qu’elle n’eût promis de m’écouter, joints à sa frayeur que les nonnes ne me vissent avec elle, à sa curiosité naturelle et à l’affection qu’elle sentait toujours pour moi malgré mon prétendu abandon, prévalurent enfin. Elle me dit que m’accorder ma demande en ce moment était impossible ; mais elle s’engagea à être dans le même lieu à onze heures du soir, et à avoir avec moi un dernier entretien. Ayant obtenu cette promesse, je lâchai sa main, et elle s’enfuit avec rapidité vers le couvent.

« Je fis part de mon succès à mon allié, le vieux jardinier : il m’indiqua une cachette où je pourrais rester jusqu’à la nuit sans crainte d’être découvert. Je m’y retirai à l’heure où j’aurais dû partir avec mon maître supposé, et j’attendis impatiemment l’instant du rendez-vous. Le froid de la nuit me fut favorable, car il retint les autres nonnes dans leurs cellules. Agnès seule fut insensible à l’inclémence de l’air, et avant onze heures elle me rejoignit au lieu témoin de notre première entrevue. Ne redoutant pas d’interruption, je lui racontai la cause véritable de ma disparition lors de ce fatal 5 mai. Elle fut évidemment très affectée de mon récit. Quand il fut terminé,