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« Ne puis-je vous demander, » lui dis-je, « par quel moyen vous êtes en possession d’un secret que j’ai soigneusement caché à tout le monde ? »

« Comment puis-je ignorer vos souffrances, quand j’en vois la cause en ce moment à côté de vous ? »

« Je tressaillis. L’étranger continua :

« Quoiqu’elle ne soit visible pour vous qu’une heure sur vingt-quatre, elle ne vous quitte ni jour ni nuit ; et elle ne vous quittera que lorsque vous aurez fait droit à sa requête. »

« Et quelle est cette requête ? »

« C’est à elle à vous l’expliquer ; je l’ignore. Attendez patiemment la nuit de samedi : alors tout s’éclaircira. »

« Je n’osai pas le presser davantage. Il changea bientôt de conversation et causa de différents sujets. Il cita des gens qui avaient cessé d’exister depuis plusieurs siècles, et qu’il paraissait avoir connus personnellement. Je ne pouvais pas nommer un pays si éloigné qu’il ne l’eût visité, et je ne me lassais pas d’admirer l’étendue et la variété de son instruction. Je fis la remarque qu’il devait avoir eu un plaisir infini à tant voyager, à voir et à connaître tant de choses. Il secoua tristement la tête.

« Personne, » répondit-il, « n’est à même de comprendre la misère de mon lot ! Le destin m’oblige d’être constamment en mouvement ; il ne m’est pas permis de passer plus de deux semaines dans le même endroit. Je n’ai pas d’amis dans le monde, et cet état d’agitation perpétuelle m’empêche d’en avoir. Je voudrais bien déposer le fardeau de ma déplorable existence, car j’envie ceux qui jouissent du repos de la tombe ; mais la mort m’échappe et fuit mes embrassements. En vain je me jette au devant du danger : je plonge dans l’océan, et les vagues me rejettent avec horreur sur le rivage ; je m’é-