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si amaigri, que je ne pouvais pas traverser la chambre sans assistance. Les regards de mes domestiques indiquaient suffisamment le peu d’espoir qu’ils nourrissaient de ma guérison. La profonde tristesse qui m’accablait sans relâche fit que le chirurgien me considéra comme hypocondriaque. Je cachais soigneusement dans mon sein la cause de ma douleur, car je savais que personne ne pouvait m’offrir de remède. Le fantôme n’était pas même visible à d’autre œil qu’au mien. J’avais souvent fait veiller des domestiques dans ma chambre ; mais dès l’instant où l’horloge sonnait « une heure, » un sommeil irrésistible s’emparait d’eux et ne les quittait qu’au départ du fantôme.

« Vous pouvez être surpris que pendant tout ce temps je ne me sois pas procuré des nouvelles de votre sœur. Théodore, qui à grand’peine avait découvert ma demeure, m’avait rassuré sur elle ; en même temps il m’avait convaincu que toutes tentatives pour la tirer de captivité seraient inutiles tant que je ne serais pas en état de retourner en Espagne. Les particularités de l’aventure d’Agnès que je vais vous relater, je les tiens en partie de Théodore et en partie d’elle-même.

« La nuit fatale où son enlèvement devait avoir lieu, un contre-temps ne lui avait pas permis de quitter sa chambre à l’instant convenu. À la fin elle se hasarda à entrer dans la pièce du revenant ; elle descendit l’escalier qui conduisait à la salle, trouva les portes ouvertes ainsi qu’elle s’y attendait, et quitta le château sans avoir été vue. Quel fut son étonnement de ne pas me trouver prêt à la recevoir ! Elle examina la caverne, parcourut chaque allée du bois voisin, et passa deux heures entières dans cette vaine perquisition. Elle ne découvrait aucune trace ni de moi ni de la voiture. Alarmée et désappointée,