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« La fatigue que j’éprouvais de n’avoir pas dormi la veille, jointe aux puissants narcotiques qu’on m’avait administrés à profusion, me procurèrent enfin ce repos dont j’avais si grand besoin. Je tombai dans un profond et calme assoupissement ; et j’avais déjà sommeillé quelques heures lorsque l’horloge du voisinage m’éveilla en sonnant « une heure. » Ce son rappela à ma mémoire toutes les horreurs de la nuit précédente. Le même frisson me saisit. Je me mis aussitôt sur mon séant, et j’aperçus le domestique dormant d’un sommeil de plomb dans un fauteuil près de moi. Je l’appelai par son nom : il ne répondit point. Je le secouai fortement par le bras et essayai un vain de réveiller : il fut parfaitement insensible à mes efforts. Alors j’entendis les pas pesants monter l’escalier ; la porte s’ouvrit, et la nonne sanglante reparut devant moi. — De nouveau mes membres furent enchaînés comme par une seconde enfance, de nouveau j’entendis répéter ces funestes paroles :

« Raymond ! Raymond ! tu es à moi ! Raymond ! Raymond ! je suis à toi ! » etc.

« La scène qui m’avait si douloureusement frappé la nuit d’avant se reproduisit. Le spectre pressa encore ses lèvres sur les miennes, il me toucha encore de ses doigts putréfiés, et, comme à sa première apparition, il quitta la chambre aussitôt que l’horloge frappa « deux heures. »

« Cela se répéta chaque nuit. Loin de m’accoutumer au fantôme, chaque visite nouvelle m’inspirait une plus grande horreur. Son image me poursuivait sans cesse, et je devins la proie d’une continuelle mélancolie. L’agitation constante de mon esprit retardait naturellement le rétablissement de ma santé. Plusieurs mois s’écoulèrent avant que je fusse en état de quitter le lit ; et lorsqu’enfin je passai sur un sofa, j’étais si faible, si abattu,