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chants affaiblis nous arriver dans le silence de la nuit.

« Quelle peut être la cause de ce bruit, Théodore ? »

« Un étranger de distinction, » répondit-il, « a passé aujourd’hui par le village, se rendant au château : c’est, dit-on, le père de doña Agnès. Sans doute le baron donne une fête pour célébrer son arrivée. »

« L’horloge du château annonça minuit. À ce signal, la famille avait coutume de se mettre au lit. Peu après, j’aperçus des lumières aller et venir de différents côtés dans le château : j’en conclus que la compagnie se séparait ; je pus entendre crier les lourdes portes qui s’ouvraient avec difficulté, et qui, en se refermant, faisaient trembler les vitraux dans leurs cadres vermoulus. La chambre d’Agnès était dans l’autre partie du château. Je tremblais quelle n’eût pas pu se procurer la clef de la chambre mystérieuse. Il fallait y passer nécessairement pour gagner l’étroit escalier par lequel le fantôme était censé descendre dans la grande salle. En proie à cette appréhension, je tins mes yeux constamment fixés sur la fenêtre, où j’espérais apercevoir la lueur amie d’une lampe portée par Agnès. J’entendis tirer les verrous des portes massives ; à la lumière qui était dans sa main, je reconnus Conrad, le vieux portier ; il ouvrit les deux battants de la grande porte et se retira. Les lumières du château disparurent successivement, et enfin le bâtiment tout entier fut enveloppé de ténèbres.

« Assis sur un fragment de roche, le calme de ce spectacle m’inspirait des idées mélancoliques qui ne manquaient pas de charme. Le château, que j’avais en pleine perspective, offrait un aspect imposant et pittoresque. Ses murs épais, que la lune teignait de sa lueur mystérieuse ; ses vieilles tours à demi ruinées, qui s’élevaient dans les nues et semblaient menacer les plaines d’alen-