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blante et mal à l’aise, elle eut à peine la force de me répéter qu’elle acquiesçait à ce plan, et elle s’enfuit chez elle, pleine de désordre et de confusion.

« Théodore, cependant, m’aidait à enlever notre proie surannée. Nous la hissâmes par dessus le mur, je la mis sur mon cheval, devant moi, et je galopai avec elle loin du château de Lindenberg. La malheureuse duègne ne fit jamais un voyage plus désagréable de sa vie. Elle fut cahotée et secouée au point de n’avoir tout au plus l’air que d’une momie vivante, sans parler de sa frayeur quand nous traversâmes une petite rivière qu’il fallait nécessairement passer pour regagner le village. Avant d’être arrive à destination, j’avais déjà arrêté ce que je ferais de l’embarrassante Cunégonde. Nous entrâmes dans la rue où l’auberge était située, et, tandis que le page frappait, j’attendis à quelque distance. L’hôte ouvrit la porte, une lampe en main.

« Donnez-moi la lumière, » dit Théodore : « mon maître arrive. »

« Il prit vivement la lampe, et la jeta exprès par terre. L’aubergiste retourna à la cuisine pour rallumer sa lampe, et laissa la porte ouverte. Je profilai de l’obscurité : je descendis de cheval avec Cunégonde dans mes bras, j’enfilai l’escalier, gagnai ma chambre sans être vu, et, ouvrant un vaste cabinet, je la serrai dedans, et le fermai à clef. L’aubergiste et Théodore parurent bientôt avec des lumières ; le premier exprima sa surprise de me voir rentrer si tard, mais ne fit point de questions indiscrètes. Il quitta peu après la chambre, et me laissa me réjouir du succès de mon entreprise.

« Aussitôt je rendis visite à ma prisonnière. Je tâchai de l’engager à se soumettre patiemment à sa réclusion momentanée. Mes efforts furent inutiles. Hors d’état de