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état ! Don Alphonso, vous devriez rougir de vouloir enlever à sa famille et à ses amis une jeune créature ignorante ! Mais, pour cette fois du moins, je déjouerai vos coupables desseins. La noble dame sera instruite de toute l’affaire, et Agnès doit réserver son rôle de spectre pour une autre occasion. Adieu, señor ; — et vous, seigneur fantôme, permettez-moi d’avoir l’honneur de vous reconduire à votre appartement. »

« Elle s’approcha du sofa, où sa tremblante pupille était assise ; elle la prit par la main, et s’apprêtait à l’emmener du pavillon.

« Je la retins, et, à force de prières, de cajoleries, de promesses et de flatteries, j’essayai de la mettre dans mes intérêts ; mais, voyant que tout ce que je pouvais dire ne servait à rien, je renonçai à mes vains efforts.

« Ne vous en prenez qu’à votre obstination, » dis-je. « il me reste un moyen de nous sauver, Agnès et moi, et je n’hésiterai pas à l’employer. »

« Effrayée de cette menace, elle voulut sortir du pavillon ; mais je la saisis par la taille et la retins de force. Au même instant, Théodore, qui l’avait suivie dans la chambre, ferma la porte, et l’empêcha de s’échapper. Je pris le voile d’Agnès : j’en enveloppai la tête de la duègne, qui jetait des cris si perçants que, malgré notre éloignement du château, je tremblais qu’ils ne fussent entendus. Enfin je réussis à la bâillonner si complètement, qu’elle ne put proférer un seul son. Théodore et moi, non sans peine, nous parvînmes ensuite à lui lier les mains et les pieds avec nos mouchoirs, et j’engageai Agnès à regagner sa chambre en toute diligence. Je lui promis qu’il n’arriverait aucun mal à Cunégonde ; je lui recommandai de se rappeler que, le 5 mai, j’attendrais à la grande porte du château, et lui fis de tendres adieux. Trem-