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village : j’aurais pu enlever Agnès cette nuit même. L’entreprise maintenant était impraticable : nous ne trouverions ni voiture ni chevaux avant Munich, qui était à deux bonnes journées de Lindenberg. Je fus donc obligé d’entrer dans son plan, qui, après tout, paraissait bien combiné. Son déguisement l’empêcherait d’être arrêtée en quittant le château, et lui permettrait de monter en voiture à la porte même, sans difficulté ni perte de temps.

« Agnès inclinait tristement sa tête sur mon épaule, et à la clarté de la lune je vis des larmes couler sur sa joue. Je tâchai de dissiper sa mélancolie, et l’encourageai à envisager notre avenir de bonheur. Je protestai dans les termes les plus solennels que sa vertu et son innocence seraient en sûreté sous ma garde, et que tant que l’église ne me l’aurait pas donnée pour femme légitime, son honneur serait aussi sacré pour moi que celui d’une sœur. Je lui dis que mon premier soin serait de vous trouver, Lorenzo, et de vous faire approuver notre union ; et je continuais à parler sur ce ton, lorsqu’un bruit qui venait du dehors m’alarma. Soudain la porte du pavillon s’ouvrit, et Cunégonde parut devant nous. Elle avait entendu Agnès sortir de sa chambre, elle l’avait suivie dans le jardin, et l’avait vue entrer dans le pavillon. À la faveur des arbres dont il était ombragé, et sans être aperçue de Théodore qui attendait à quelque distance, elle s’était approchée en silence, et avait écouté toute notre conversation.

« À merveille ! » dit Cunégonde d’une voix aigre de fureur, tandis qu’Agnès poussait un grand cri ; « par sainte Barbara ! jeune dame, voilà une excellente invention ! vous devez contrefaire la nonne sanglante, vraiment ? Quelle incrédulité ! Sur ma foi, j’ai bonne envie de vous laisser suivre votre plan : quand le vrai fantôme vous rencontrera, je vous garantis que vous serez dans un joli