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suadé que le 5 mai de chaque cinquième année, aussitôt que l’horloge sonne une heure, la porte de la pièce adoptée par elle s’ouvre (observez que cette pièce a été condamnée depuis près d’un siècle) ; alors le fantôme s’avance avec sa lampe et son poignard ; il descend l’escalier de la tour de l’est, et traverse la grande salle. Cette nuit-là, le portier laisse toujours les portes du château ouvertes, par respect pour l’apparition ; non pas que cette précaution soit regardée en aucune façon comme nécessaire, puisqu’elle pourrait aisément passer à travers le trou de la serrure, si bon lui semblait ; mais c’est simplement par politesse, et pour l’empêcher de déroger, par une sortie si inconvenante, à sa dignité de seigneur fantôme. »

« Et où va-t-elle en quittant le château ? »

« Au ciel, j’espère ; mais si elle y va, l’endroit assurément n’est pas de son goût, car elle revient toujours après une heure d’absence. — La dame alors se retire dans sa chambre, et la voilà tranquille pour cinq autres années. »

« Et vous croyez cela, Agnès ? »

« Pouvez-vous me faire une semblable question ? Non, non, Alphonso ! j’ai trop à déplorer l’influence de la superstition pour m’en rendre victime moi-même ; cependant je ne dois pas avouer mon incrédulité à la baronne ; elle n’a aucun doute sur la vérité de cette histoire. Quant à dame Cunégonde, ma gouvernante, elle proteste qu’il y a quinze ans, elle a vu le spectre de ses deux yeux. Elle m’a raconté un soir comment elle et plusieurs autres domestiques, étant à souper, avaient été terrifiés par l’apparition de la nonne sanglante, comme on appelle le fantôme au château ; c’est d’après ce récit que j’ai dessiné cette esquisse, et vous pouvez bien penser que