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un des sujets me frappa par sa singularité. Il représentait la grande salle du château de Lindenberg. Une porte, qui conduisait à un étroit escalier, était ouverte à demi. Sur le premier plan paraissait un groupe de figures placées dans les attitudes les plus grotesques ; la terreur était peinte sur toutes les physionomies. Celui-ci était à genoux, les yeux levés au ciel et priant dévotement ; celui-là s’enfuyait à quatre pattes. Quelques uns cachaient leur visage dans leur manteau ou dans le sein de leurs compagnons ; quelques autres s’étaient réfugiés sous une table, où l’on voyait les débris d’un festin ; tandis que d’autres, la bouche béante et les yeux grands ouverts, montraient du doigt une figure qui paraissait avoir occasionné ce désordre. C’était une femme d’une taille surnaturelle, et portant l’habit d’un ordre religieux. Son visage était voilé ; à son bras pendait un chapelet ; sa robe était çà et là tachée de gouttes de sang qui coulaient d’une blessure qu’elle avait au sein. D’une main elle tenait une lampe, de l’autre un grand couteau ; et elle avait l’air de s’avancer vers les portes en fer de la salle.

« Que signifie cela ? Agnès, » lui dis-je ; « est-ce un sujet de votre invention ? »

« Elle regarda le dessin.

« Oh ! non, » répondit-elle ; « c’est l’invention d’une tête plus forte que la mienne. Mais est-il possible que vous ayez demeuré trois mois entiers à Lindenberg sans avoir entendu parler de la nonne sanglante ? »

« Vous êtes la première personne à qui j’aie entendu prononcer son nom. Je vous prie, quelle est cette dame ? »

« C’est plus que je n’ai la prétention de vous dire. Tout ce que je sais vient d’une vieille tradition de cette famille, tradition qui s’est transmise de père en fils, et à laquelle on croit fermement dans les domaines du baron. Le