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« Vous ne pouvez ignorer que vos parents étaient malheureusement esclaves de la plus grossière superstition : quand ce faible était mis en jeu, tout autre sentiment, tout autre passion cédait à cette influence irrésistible. Étant grosse d’Agnès, votre mère fut prise d’une dangereuse maladie, et abandonnée des médecins. Dans cet état, doña Inesilla fit vœu, au cas qu’elle revînt à la santé, que l’enfant qui vivait dans son sein serait consacré, si c’était une fille, à Sainte-Claire, si c’était un garçon, à Saint-Benoît. Ses prières furent exaucées. Elle fut délivrée de son mal ; Agnès vint au monde vivante, et fut destinée aussitôt au service de Sainte-Claire.

« Don Gaston s’associa sans difficulté au vœu de sa femme ; mais connaissant les opinions du duc, son frère, au sujet de la vie monastique, il fut convenu qu’on lui cacherait avec soin l’avenir que l’on réservait à votre sœur. Pour mieux garder le secret, il fut décidé qu’Agnès accompagnerait sa tante, doña Rodolpha, en Allemagne, où cette dame était sur le point de suivre le baron Lindenberg qu’elle venait d’épouser. À son arrivée dans ce domaine, la jeune Agnès fut mise dans un couvent, situé à peu de milles du château. Les nonnes auxquelles son éducation fut confiée remplirent leur tâche avec exactitude : elles en firent une personne accomplie, et s’efforcèrent de lui inspirer du goût pour la retraite et pour les plaisirs tranquilles du cloître. Mais un secret instinct fit comprendre à la jeune recluse qu’elle n’était pas née pour la solitude. Avec toute la liberté de la jeunesse et de la gaieté, elle ne se faisait pas scrupule de tourner en ridicule plusieurs cérémonies que les nonnes vénéraient : et elle n’était jamais plus heureuse que lorsque sa vive imagination lui dictait quelque bon tour qui fît pester la mère abbesse à la tournure empesée, ou la vieille portière