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nouveau mari, et il nous emmena immédiatement chez lui.

« Il m’assura qu’il nourrissait depuis longtemps la plus ardente passion pour moi, mais que son amitié pour mon défunt amant l’avait obligé d’étouffer ses désirs. Il essaya de me réconcilier avec ma destinée, et pendant quelque temps il me traita avec égards et douceur ; à la fin, voyant que mon aversion croissait plutôt que de diminuer, il obtint par la violence les faveurs que je persistais à lui refuser. Il ne me restait plus d’autre ressource que de supporter mes malheurs avec patience ; je sentais que je ne les méritais que trop bien. La fuite m’était interdite. Mes enfants étaient au pouvoir de Baptiste, et il avait juré que si j’essayais de m’échapper, ils le lui paieraient sur leur tête. J’avais eu trop de preuves de sa barbarie pour douter qu’il ne remplît son serment à la lettre. Une triste expérience m’avait convaincue des horreurs de ma situation. Si mon premier amant me les cachait avec soin, Baptiste prenait plaisir à m’ouvrir les yeux sur les cruautés de sa profession, et s’efforçait de me familiariser avec le sang et le carnage.

« J’étais d’un caractère libre et ardent, mais non cruel ; ma conduite avait été imprudente, mais mon cœur n’était pas sans principes. Jugez donc ce que je dus éprouver d’être continuellement témoin des crimes les plus horribles et les plus révoltants ; jugez tout ce que je dus souffrir d’être unie à un homme qui recevait ses hôtes confiants d’un air ouvert et hospitalier au moment même où il méditait leur perte ! Le chagrin et la tristesse altérèrent ma constitution ; le peu de charmes que m’avait donnés la nature se flétrirent, et l’abattement de mes traits dénotait les souffrances de mon cœur. Je fus tentée mille fois de mettre fin à mon existence, mais le souvenir de mes enfants arrêta ma main. Je tremblais de laisser