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les écarts du voyage — dans les détails mêmes nous n’avons rien vu qui méritât l’accusation d’immoralité. Il est difficile qu’un auteur de vingt-ans soit en état de se rendre coupable d’un délit aussi grave. Qualités et défauts, tout manque de profondeur à cet âge. Le Moine, il est vrai, contient des passages un peu vifs ; mais autre chose est d’éveiller les sens, ou de corrompre le cœur.

Où en serait la littérature de tous les temps et de tous les pays si, dans le même ouvrage, le discernement des lecteurs ne consentait pas à faire la part du bon et du mauvais ? Le temps où on brûlait les livres est passé ; mais il ne faut pas non plus qu’on les étouffe. Le talent ne court pas tellement les rues, même à Londres, qu’on doive tolérer ces holocaustes offerts par le cant sur les autels de la morale. Tous les honnêtes gens en France s’accordent à déplorer le cynisme de ces dernières années ; mais, par peur du cynisme, ils ne se jetteront pas dans les bras de l’hypocrisie. Si l’un est d’un exemple plus dangereux, l’autre a quelque chose de lâche qui répugne encore davantage. Pourquoi opter ? pourquoi détruire tout une moisson pour quelques mauvaises herbes ? Certaines fautes contre le goût, contre la décence, ne constituent pas un livre immoral. Qu’on interdise ces sortes de lectures aux jeunes filles ; mais il est impossible que les hommes faits n’aient pas une bibliothèque qui ne soit pas celle des enfants.

Il a déjà paru deux traductions du Moine : la première, intitulée le Jacobin espagnol (Paris, Favre, an vi, 4 vol. in-18) ; la seconde, sous son vrai titre (Paris, Maradan, an x, même format). Nous ne connaissons que cette dernière, que la France littéraire de Quérand attribue à MM. Deschamps, Després, Benoit et Lamare ; elle passe pour être la meilleure, et elle a eu plusieurs éditions. Elle est faite dans le système de dédaigneuse inexactitude et de fausse dignité de style qui prévalait alors : les capucins sont transformés en dominicains, les veilleuses en lampes antiques, etc…

C’est la faute du temps plus que celle des auteurs. Mais aujourd’hui que la paix a émancipé les traducteurs en éclairant le public, l’inexactitude serait sans excuse : les traducteurs sont des interprètes et non des juges ; ils ne doivent plus l’oublier. On s’occupe beaucoup, et avec raison, en ce moment des questions de propriété littéraire : mais c’est aussi bien intellectuellement que pécuniairement parlant qu’un ouvrage est la propriété de son auteur ; et de toutes les contrefaçons, celle qui lui sera le plus antipathique, ce sera toujours une traduction infidèle.

Pénétré de cette idée, nous nous sommes astreint à la fidélité la plus rigoureuse. Notre intention a été qu’un Anglais et