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sait à Baptiste lorsqu’il lui reprochait en riant son air bougon, étaient aigres, brèves et piquantes. Enfin, à première vue, je conçus pour elle autant de répugnance que je me sentis bien disposé en faveur de son mari, dont l’extérieur était fait pour inspirer l’estime et la confiance. Sa physionomie, à lui, était ouverte, franche, amicale ; ses manières avaient l’honnête simplicité de celles des paysans sans en avoir la grossièreté ; ses joues étaient larges, pleines et rubicondes, et par l’ampleur de sa carrure il semblait faire amende honorable pour la maigreur de sa femme. Aux rides de son front, je lui donnai soixante ans ; mais il portait bien son âge et avait l’air dispos et vigoureux ; la femme ne pouvait pas avoir plus de trente ans, mais comme activité de corps et d’esprit, elle était infiniment plus vieille que son mari.

« Néanmoins, en dépit de sa mauvaise volonté, Marguerite se mit à préparer le souper, tandis que le bûcheron causait gaiement de divers sujets. Le postillon, qu’on avait muni d’une bouteille d’eau-de-vie, était prêt à partir pour Strasbourg, et prit de nouveau mes ordres.

« Pour Strasbourg ? » interrompit Baptiste ; « vous n’y allez pas cette nuit ? »

« Je vous demande pardon ; si je ne vas pas chercher des ouvriers pour raccommoder la chaise, comment monsieur fera-t-il pour partir demain ? »

« C’est vrai ce que vous dites ; j’avais oublié la chaise. Fort bien ; mais, Claude, vous pouvez bien au moins souper ici ; cela vous fera perdre très peu de temps, et monsieur a l’air trop bon pour vous renvoyer l’estomac vide par une nuit aussi cruellement froide que celle-ci. »

« J’y acquiesçai bien volontiers, disant au postillon qu’il m’était parfaitement indifférent d’arriver demain à Strasbourg une ou deux heures plus tard. Il me remercia, et,