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revenir à Madrid dans le dessein exprès d’empêcher ce sacrifice. À mon arrivée, je volai au couvent de Sainte-Claire, qu’Agnès avait choisi pour faire son noviciat. Je demandai à voir ma sœur. Figurez-vous ma surprise : elle refusa de me recevoir ; elle déclarait positivement qu’appréhendant mon influence sur son esprit, elle ne voulait pas s’exposer à une entrevue avec moi avant la veille du jour où elle devait prendre le voile. Je suppliai les nonnes ; j’insistai pour voir Agnès, et je n’hésitai pas à les soupçonner hautement de la retenir loin de moi contre son gré. Pour se disculper de cette imputation de violence, l’abbesse m’apporta quelques lignes, écrites évidemment de la main de ma sœur, et où elle confirmait le premier message. Tous mes efforts subséquents pour obtenir un moment de conversation avec elle furent aussi inutiles. Elle était inflexible, et je n’eus la permission de la voir que le jour même qui précéda celui où elle allait entrer au cloître pour ne le plus quitter. Cette entrevue eut lieu en présence de nos principaux parents. C’était pour la première fois depuis son enfance que je la voyais, et ce fut une scène des plus attendrissantes : elle se jeta dans mes bras, m’embrassa, et pleura amèrement. Par tous les arguments possibles, par les larmes, par les prières, à deux genoux, je m’efforçai de lui faire abandonner sa résolution. Je lui représentai tout ce qu’avait de pénible la vie monastique ; je dépeignis à son imagination tous les plaisirs qu’elle allait quitter, et je la conjurai de me révéler ce qui occasionnait son dégoût pour le monde. À cette dernière question, elle devint pâle, et ses larmes coulèrent encore plus abondamment. Elle me supplia de ne point insister sur cette question : qu’il me suffît de savoir que sa détermination était prise, et qu’un couvent était le seul lieu où elle